Notre mascotte

Notre mascotte s’appelle Alphonse, et c’est un manchot. Certains le trouvent rigolo, d’autres un peu bedonnant, mais il met tout le monde de bonne humeur, Alphonse, et c’est pour cela qu’on l’aime bien.

Mais pourquoi le club se surnomme-t-il “les Manchots de Perrache”, nous demande-t-on souvent, et pourquoi a-t-il Alphonse comme mascotte ?

Pardonnez-nous, mais la question est mal posée. La véritable interrogation devrait être : pourquoi le vénérable sphénicidé est-il si présent, discrètement, dans l’imaginaire lyonnais ? Ne vous êtes-vous jamais posé la question, devant cette statue à la Cité Internationale ?

Tout simplement parce que les manchots auraient en réalité une longue histoire avec la capitale des Gaules. Voici ce que raconte la légende, la légende des manchots de Perrache, susurrée de générations en générations par le peuple lyonnais.

L’ancien spectacle des manchots attablés

Nous sommes à la fin du 19e siècle, et les sociétés européennes sont en pleine exploration de nouvelles formes de divertissement. Un forain d’origine portugaise a justement installé un spectacle interactif sur le parvis de la gare de la Presqu’île, avec deux ambassadeurs noirs et blancs de l’Antarctique en stars inattendues. Le succès populaire est total.

Chaque dimanche après-midi, devant les visages charnus ébahis des petits Lyonnais, deux manchots attablés l’un face à l’autre tentaient maladroitement de renvoyer des balles en papier chiffonné que lui envoient le public. Qu’ils battent leur aile dans le vide, et c’était perdu. Mais qu’ils parviennent à la renvoyer, et la foule applaudissait avec excitation. Et s’ils réussissaient à la réorienter vers l’autre manchot, c’était l’exultation et l’hilarité générales !

Ce spectacle était une sacrée attraction. Il faut dire que même au siècle de l’émergence des zoos, voir des manchots dans le centre de Lyon relevait de l’anomalie. Les premiers animaux hébergés par le parc de la tête d’or, en 1858, sont un troupeau de daims, rejoints en 1865 par un ours. Que faisaient donc ces sphéniscidés ici ?

Alphonse et Félicienne, passagers secrets du voyage de Bougainville

Leur présence, nous la devons à un grand homme lyonnais aujourd’hui tombé dans l’oubli, Philibert Commerson, médecin, naturaliste et explorateur, connu pour avoir accompagné Bougainville lors de son voyage autour du monde, de 1766 et 1769. Lyonnais lettré et curieux, Commerson avait lu avec grand intérêt les grands récits des navigateurs portugais.

Dans Diário da viagem de Vasco da Gama, journal de bord de l’explorateur portugais écrit en 1497 par un membre de son équipage, probablement Alvaro Velho, il découvre pour la première fois l’existence de curieux animaux. Le portugais raconte leur étonnante rencontre sur sur l’Ilha das Focas (l’île aux phoques), dans la baie False, en Afrique du Sud :

« Sur cette même île, il existe des oiseaux gros comme des canards, mais ils ne peuvent pas voler, parce que leurs ailes n’ont pas de plumes. Ces oiseaux, que nous avons tué au nombre qu’il nous plût, sont appelés fotylicayos, et ils braient comme des ânes. »

Commerson est intrigué. Lorsque Bougainville et lui passent le cap de Bonne Espérance, au large de l’Afrique du Sud, il se convainc de ramener un couple de ces “fotylicayos”, que l’ornithologue français Mathurin Jacques Brisson a rebaptisé en 1760 “manchot”, car “ses ailes sont extrêmement courtes : il les porte tout-à-fait déployées, et étendues le long de ses côtés.”

De retour en France, l’explorateur et botaniste lyonnais fait don en 1976 de la plupart de ses découvertes – dessins émerveillés, spécimens de plantes exotiques et oiseaux inconnus – au jardin du roi. Mais Commerson n’ayant jamais publié ses mémoires, tous ignorent qu’il a conservé pour lui-même certaines créatures.

Parmi celles-ci, deux manchots du Cap, qu’il baptise Alphonse et Félicienne, qu’il lègue à son intendant portugais, Joao, qui s’installe à Lyon. C’est lui qui de génération en génération, réussira à les acclimater au climat rhônien, les fera se reproduire, et fera des manchots des lyonnais, jusqu’à ce qu’un de ses descendants n’y voit une manière d’amuser la galerie.

Une bataille de ping et de peng

C’est lors d’un de ces dimanches de divertissement populaire, qu’à la fin des années 1890, l’un des multiples entrepreneurs revendiquant l’invention du tennis de table, John Jaques III de Londres, découvre en  compagnie d’un cousin lyonnais les deux amusantes créatures. Il a alors bien besoin de se changer les idées : son jeu de raquette, baptisé étrangement “Gossima”, peine à convaincre en Angleterre, et son entreprise est en difficultés. Mais la simple vue de ces créatures lui fait oublier momentanément tous ses soucis.

“Penguins !”, s’esclaffe-t-il dans son anglais d’adoption – en raison d’une confusion avec les oiseaux de l’île Pinguins, au nord-est du Canada, les Britanniques appellent ainsi les animaux que nous appelons “manchots”.  Son cousin le reprend dans un grand sourire : “Ce sont des manchots, et de toute façon, en français, on dit pingouins, pas penguins, John”, avant d’articuler plus lentement :  “Ping-ouins”.  Jacques le regarde interloqué. Son cousin le cherche ? Il va le trouver ! “Peng-uins”, répète-t-il aussitôt en feintant le flegme britannique.

C’est dimanche, et les deux cousins continuent de se chamailler avec tendresse, une pinte de blanche à la main. “Ping !”, redit l’un à chaque nouvelle balle de papier chiffonné jetée aux descendants d’Alphonse et Félicienne. “Peng !”, rétorque l’autre en relançant. De retour à Londres, l’entrepreneur se remémore avec tendresse ce moment avec son cousin. Il décide de renommer son jeu “ping-peng”, et s’empresse de le déposer au bureau de la protection des marques, où un employé distrait le note avec une coquille. C’est ainsi qu’en 1901, inspiré par les facéties adorables des manchots de Perrache, John Jacques III dépose la marque “ping-pong”, fille d’une longue histoire de voyages à travers le monde, de découvertes zoologiques, de jongleries malhabiles et de fous rires amicaux.

En hommage à ce lointain mais inoubliable passé lyonnais, depuis 2022, le Rhône Sportif a adopté pour mascotte Alphonse, le plus pongiste, le plus inspirant de tous les manchots.

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